Coach de génie, stakhanoviste de l’entrainement, visionnaire du basket, formateur hors-pair, homme cultivé avec de vraies valeurs, Niksa Bavcevic a laissé des souvenirs impérissables à Alexandre Bousmanne et au club de Pepinster.
A peine arrivé en Belgique, Niksa Bavcevic était allé assister à des matchs de jeunes. « Il était venu voir Dimitri et moi au tournoi de fin de saison de La Reid » se rappelle Alexandre Bousmanne. « Je ne l’intéressais pas en priorité mais bien mon frère par contre. » Et le technicien de l’Est de prendre rendez-vous et de débarquer le dimanche de la fête des mères au domicile des Bousmanne à Jevoumont. « Nous l’attendions tous, j’étais en train de tondre » rigole Bous’ qui jouait alors à Theux avec son grand (2m12) frère aîné. » La vraie cible, c’était Dimitri mais ce n’était pas un grand amoureux de basket alors j’ai été invité à la réunion. J’étais super impressionné d’avoir un coach de D1 à la maison. »
Et pour recruter un « prospect », Niksa savait y faire. « Il m’a convoqué un jour dans la cafétaria VIP de Pepinster et a sorti une photo. C’était celle de son équipe junior de Split où tous les gars étaient passés pros. Il m’a désigné Toni Kukoc. C’était fait, j’avais déjà signé avant qu’il continue de parler. Le mec avait formé un des coéquipiers de Jordan!« , s’exclame l’expérimenté intérieur aubelois.
Arrivé en remplacement de Michel Baiverlin « coupable », notamment, d’une élimination sans gloire en Coupe de Belgique contre la D4 de Neufchâteau, le coach croate allait rester presque cinq ans au Hall du Paire pour écrire quelques unes des plus belles pages de l’histoire du club pepin. En un presque lustre , Pepinster obtint de magnifiques résultats sportifs tout en « sortant » de nombreux talents – Hervelle, Muya, Massot – tant pour l’élite que pour les divisions inférieures. « J’étais pas an niveau P4 avant de passer dans ses mains. J’étais juste un bon petit joueur mais grâce à lui, j’ai explosé de partout. J’ai pu toucher à la D1 mais surtout jouer durablement en D3. Tout me vient de lui » reconnait Alex. « Il a « fait » Axel Hervelle. C’était un génie, un génie fou. Un génie probablement incompris de l’extérieur mais certainement le meilleur entraineur de tous les temps – avec Dario Gjergia – en Belgique. Mais il était incapable d’accepter l’échec ou l’indiscipline, que cela soit de ses joueurs, des dirigeants, de la fédération ou des arbitres. »
Comme toutes les belles histoires, celle qui lie Niksa Bavcevic – qui préfaça d’ailleurs un ouvrage sur le cercle pepin – et Pepinster est riche en savoureuses anecdotes. « Au tournoi international de Martigny – qui était un peu le championnat des vainqueurs de chaque pays d’Europe – où nous fûmes double champions, il laissait Ivica Skelin dormir dans le hall pour être sûr que nous ne sortions pas. Il a déjà fait arrêter le car de Pepin sur l’autoroute car ma veste était dans la soute. Il ne voulait pas que je prenne froid » se remémore avec délice l’ancien pivot de SFX. « Il nous a obligé à nous entraîner en quittant l’avion après un mauvais match en Coupe d’Europe. Il avait mis Darius Hall au régime. Ce dernier, quand nous nous arrêtions dans les stations services, mettait ses paquets de chips dans mon sac pour que je paie et venait avec son énorme paluche les reprendre, paquet par paquet, pour les manger couché dans le car. »
« Des entrainements précis pointus et éreintants »
Ce boulimique d’entrainement, qui s’était aménagé un petit bureau/dortoir au Hall du Paire pouvait se montrer terriblement exigeant. « Pour mon premier entrainement avec la D1, nous faisons du 3 contre 2+1. Sur la première action, Faison me plante un trois points à huit mètres, sur la deuxième, Jorssen me contre à deux mains sur la planche. Sur la troisième, Starosta – un géant prêté par Madrid – me dunke dessus en lay-back. Niksa m’a alors dit: « take a seat ». Et j’ai regardé le reste dans les gradins » nous raconte Alex. « A un autre entrainement, toujours dans un exercice de 3 contre 2+1, il fallait, après avoir pris le rebond, monter la balle jusque de l’autre côté du terrain. Forcément, Damir Milacic me piquait la gonfle ans sans arrêt avant le milieu. Niksa arrêtait l’exercice, me rendait la balle au début et me demandait de recommencer. Encore, et encore. Les pros devenaient fous. »
Les entrainements du croate étaient réputés partout en Belgique, tant pour la débauche d’énergie demandée que pour la précision exigée. « C’était un enfer. Dès qu’il rentrait dans la salle, nous nous sentions mal. Les entrainements de Bavcevic étaient à la fois précis, pointus et éreintants. Tactiquement, c’était un pur monstre! Il nous expliquait au centimètre près où nous devions nous placer. Le jeudi soir, il nous filait les systèmes de l’équipe adverse et nous devions les connaître pour le lendemain. Moi qui était encore à l’école, je les étudais pendant les cours. Et Axel Hervelle me guidait sur le terrain quand j’étais perdu mais si un pro se trompait, il se faisait massacrer » continue l’ancien Aqualien. « Un jour, Niksa annonce « first » – un système où le meneur prend un écran – trois fois d’affilée. Il arrête l’entrainement, va prendre une petite balle jaune dégonflée, la signe et met un smiley dessus puis la donne à Damien Pirson. Il le vire alors du terrain et lui dit d’aller shooter. Damien prend un ballon normal mais Niksa arrête à nouveau l’entrainement – pour que les pros assistent bien à la scène – et précise à Damien qu’il doit shooter avec la balle jaune. « Ta petite balle à toi » lui précise-t-il. C’était ça Niksa: la perfection non-stop. »
« Un dictateur au grand coeur »
Un sens du détail qui portera ses fruits, de nombreux talents progressant à vitesse grand V alors que les victoires s’enchaînaient au Hall du Paire. « J’ai disputé mon premier match en D1 contre Wevelgem. A Vilvoorde (où évoluaient Rasquin et Kalut, les anciens Pepins), où nous jouions pour la qualifications en Playoffs, 300 supporters de Pepinster se sont levés pour demander ma montée. Bavcevic a dessiné un système pour que je marque et j’ai envoyé ma passe en tribune » rigole Bous’. « Je suis monté au jeu entre vingt et trente fois, j’ai participé à des matchs de Coupe d’Europe, notamment à Ionikos où nous affrontions Louis Rowe, mon idole pépine – il avait planté 45 points une fois, record du club – quand j’étais petit. »
Et si Niksa Bavcevic pouvait se montrer dur, c’était aussi un homme de valeurs. « Après notre deuxième titre de champion en jeunes, il est rentré dans le vestiaire alors que je fumais un gros cigare pour me dire de le lâcher car j’avais entrainement le lendemain avec la D1 » retient celui qui évolua cinq saisons sous le maillot pepin. « Mais pour ma première sélection en équipe nationale, il était tellement fier qu’un de ses produits soit repris qu’il a envoyé Serge Polet me suivre toute la première journée. A la fin de son aventure à Pepinster, il m’a pris dans un coin pour m’expliquer que, dans la vie, l’argent ne devait pas être le moteur, qu’il fallait prendre soin de moi et conserver de bonnes valeurs. »
Une vision de la vie que cet incroyable entraîneur – qui avait ses entrées en NBA lors des camps d’été – appliquait au quotidien. » Il était présent aux obsèques de ma maman alors que personne ne l’avait prévenu. Ce mec est un dictateur au grand cœur. D’ailleurs une de ses phrases préférées est : « Trop de démocratie nuit à la démocratie ». il est hors de lui quand il constate qu’une partie de la population ne va pas voter dans les pays où ce n’est pas obligatoire. « Ce seront les même qui, dans une dictature, manifesteront pour obtenir le droit de vote. Ce droit est le plus beau cadeau que l’on puisse faire à un citoyen. » Tout est dit » conclut Michel Christiane qui l’a côtoyé lors de brillant premier passage en Belgique.
Thiebaut COLOT
Crédit photo: Vevey Basket